Ma tribune dans le journal Le Monde en date du 18 mars 2011
Pour la publicité du livre à la télévision
Voici une curiosité française à laquelle personne ne viendra y dire quelque chose, ni même en débattre. En effet, il a été convenu qu’il ne pourrait pas y avoir de publicité du livre à la télévision, point à la ligne.
Pourtant, nous en avons besoin de cette publicité. En effet, le marché du livre ne se porte pas au mieux. Dans cette période de mutation historique, les éditeurs doivent s’adapter et trouver de nouveaux moyens afin de promouvoir leurs ouvrages.
Le marché du livre en 2010, c’est 268 millions d’ouvrages vendus neufs pour un chiffre d’affaires de 2,8 milliard d’euros. Ce marché comprend la littérature générale, la jeunesse, la littérature poche, la bande-dessinée, les ouvrages pratiques, les beaux-livres, les guides touristiques et les cartes, le parascolaire et les dictionnaires, et enfin l’informatique.
Pour vendre ces ouvrages, aujourd’hui, un éditeur ne peut pas totalement se reposer sur la vente en ligne (Internet) qui commence à peine à progresser tandis que les circuits physiques (librairie) seuls affichent une baisse inquiétante. Alors, certains diront que « tout va bien Madame la Marquise » mais la réalité est tout autre. Les baisses de vente sont quasi-générales.
Si la littérature générale en grand format voit ses ventes progresser (les romans et les essais grand format se sont en effet bien vendus), les ventes de littérature au format poche accusent en 2010 un net recul. De même, il y a une baisse sur les marchés de la jeunesse, de la bande-dessinées (albums et mangas), des guides touristiques et des beaux-livres.
Le constat est donc simple. L’édition française aujourd’hui, c’est un marché à deux vitesses : une minorité qui gagne de l’argent et qui va en gagner encore plus et la grande majorité qui stagne ou qui perd de l’argent et qui voit leur difficulté s’accélérer. Car en effet, le système s’est perverti. Un livre qui marche va marcher encore mieux en raison du système de la « best-sellerisation » et ceux qui vendaient un peu moins ou pas beaucoup ne vendront quasiment plus. Autrement dit, nous assistons à la lente et progressive disparition de la « classe moyenne » de l’édition. Alors quoi faire en attendant les vraies réformes de fond ?
D’abord, comme je l’ai toujours soutenu, il faut aider les éditeurs, libraires et tous les points de vente à s’adapter à cette révolution numérique et à prendre le virage numérique, sous peine de disparaître. C’est au politique de prendre ses responsabilités. C’est le rôle du président de la République et du ministre de la culture de réunir des Etats généraux du livre ou de créer un Grenelle car il y a urgence.
Mais d’autre part, il faut aider la promotion des livres. Nous constatons d’abord qu’il n’y a plus de grandes émissions permettant de vendre des livres. Avec la crise que connaissent la presse écrite et la radio, les éditeurs doivent trouver d’autres moyens de les promouvoir.
A ce jour, la publicité pour le livre est interdite à la télévision, du moins sur les grandes chaînes. Cette interdiction procède du constat que la publicité pour le livre est soit inopérante, soit porteuse d’effets pervers dangereux pour le livre lui-même. En effet, le prix du spot télévisuel est trop élevé pour qu’il soit possible, et même tout simplement rationnel, de promouvoir d’autres livres que les best-sellers. La publicité irait donc aux livres qui en ont le moins besoin, ceux qui bénéficient de très gros tirages. Ce raisonnement a même été érigé par le Conseil d’Etat.
QUOTA
Ainsi, avant 2003, l’édition littéraire n’avait pas accès à la publicité. Et ce pour des raisons économiques afin de ne pas fragiliser les maisons d’édition les plus pauvres et permettre également à la presse écrite de conserver ces ressources spécifiques. Je rappelle la décision du Conseil d’Etat (société TMC, société Pathé Régie) en date du 13 mars 2006 qui avait rejeté les demandes d’annulation du décret n° 2003-960 du 7 octobre 2003 modifiant le décret n° 92-280 du 27 mars 1992, dit « décret publicité » qui avait partiellement ouvert la publicité télévisée à certains secteurs économiques. Selon la décision, l’ouverture du secteur de l’édition littéraire aux chaînes du câble et du satellite « est justifiée par l’objectif d’intérêt général d’apporter de nouvelles ressources à ces services, dont l’économie est fragile, tout en évitant des transferts trop importants de budgets publicitaires de la presse vers la télévision et la concentration des messages publicitaires à la télévision au bénéfice des sociétés d’édition les plus importantes ».
Mais il faut être ambitieux en la matière et ne pas rester sur ce simple raisonnement. C’est d’une affaire d’intérêt général culturelle qu’il est question. Cette décision n’est plus en accord avec notre réalité économique et médiatique. En effet, pour protéger les petits éditeurs et les libraires, le politique refuse d’aider un secteur fragile. L’édition française a pourtant besoin de cette fenêtre médiatique.
Je propose donc de voter une loi pour créer un quota de temps libre pour la publicité pour le livre, produit non commercial mais culturel. Afin de ne pas précisément favoriser les éditeurs les plus riches concernant l’achat des spots de publicité, pourquoi ne pas proposer au Syndicat national de l’édition (SNE) d’organiser avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) une promotion équitable et juste entre tous les éditeurs ? De surcroît, il serait tout à fait envisageable de faire un échange de marchandise entre les éditeurs et les diffuseurs. Enfin, pourquoi ne pas débloquer un budget par l’Etat pour cette initiative ?
Il est si simple d’interdire la publicité à la télévision et de refuser ce débat. Tout le monde le souhaite pourtant. Le courage, c’est justement d’en parler et de l’organiser. Notre profession en a besoin, et d’urgence.