Chassez Arash Derambarsh par la porte, il reviendra par la fenêtre. Elu municipal Les Républicains de Courbevoie, dans la banlieue parisienne, depuis 2014, il a appris à se battre, partout et tout le temps. Né à Paris en juillet 1979 alors que l’Iran est en pleine révolution, il y vivra quatre ans avec son frère jumeau, avant de quitter définitivement le pays et devenir français. Ses études de droit sont chaotiques mais en décembre dernier, après neuf redoublements au total, il finit par défendre sa thèse sur les fichiers de police et prêtera serment d’avocat en octobre 2017. «Pour défendre la veuve et l’orphelin», dit-il.
Vous êtes à l’origine de la loi promulguée en France en février dernier sur le gaspillage alimentaire et qui oblige les supermarchés à donner gratuitement les invendus. D’où vient cette détermination à se battre sur cette thématique ?
Une fois que j’ai eu mon bac, à 19 ans, j’ai voulu être indépendant. J’étais directeur de collection chez Laffont, chez Ramsay, puis depuis 2007 au Cherche Midi. Mais avec mes 800 euros mensuels et un loyer de 400 euros, je devais bricoler avec des bouts de ficelle pour vivre. Souvent, je mangeais en fin d’après-midi entre les deux repas. J’avais la rage! Surtout quand je voyais toute la nourriture que l’on jetait ou que l’on retrouvait dans les poubelles. J’ai été bénéficiaire puis bénévole pour les Restos du cœur, qui font un travail formidable face à la discrétion de ceux qui sont dans le besoin. Avoir faim, c’est tabou! On n’ose pas en parler! Alors au lieu d’être négatif, je me suis dit que j’allais me faire élire. J’ai monté ma liste divers droite en mars 2014 pour faire quelque chose.
Malgré des initiatives comme les Restos du cœur ou des choses comme ça, personne n’y avait pensé avant vous ?
Non ! Mais il faut bien comprendre la problématique. En mars 2014, je me dis que je vais faire la maraude pour Noël. Je suis allé voir Monoprix et Franprix, dans ma ville, pour obtenir leurs invendus. Ils m’ont répondu que ce n’était pas possible parce que je n’avais pas de chambre de froid. En discutant avec des nutritionnistes, ils m’ont dit que nous pourrions contourner la loi en organisant une distribution immédiate. Carrefour Market a accepté de jouer le jeu de décembre à février 2015. Pendant deux mois, trois fois par semaine, à 20h30, nous organisions une distribution des invendus, cinquante kilos de nourriture d’une valeur d’environ 500 euros. Une centaine de personnes en bénéficiait chaque soir, des SDF et des personnes de la classe moyenne. Rien n’était encadré légalement…
C’est là que l’homme moderne que vous êtes fait un putsch médiatique…
Je vis avec mon temps! J’ai voulu rendre l’opinion publique attentive à ce problème. J’ai lancé une pétition avec Mathieu Kassovitz le 19 janvier 2015. Nous avons réuni 211.000 signatures. Une des pétitions les plus signées pour ce thème, notamment par One France, l’organisation caritative du chanteur de U2, Bono. Avec la Croix-Rouge et Action contre la Faim, nous avons lancé une pétition européenne. Le traité de Lisbonne prévoit que lorsqu’une pétition est signée par un million de citoyens d’au moins un quart des pays européens, la Commission soit obligée de présenter un projet de directive européenne sur le sujet.
Vous en êtes-où aujourd’hui ?
Nous en sommes à 770.000 signataires d’une dizaine de pays. Donc tout près du but. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, devrait se saisir de cette problématique: il y a plus de 80 millions de démunis dans l’Union européenne. Il ne s’agit que de nos droits fondamentaux, de base, boire et manger. J’ai aussi transmis un appel à José Graziano da Silva [le directeur général de l’Agence des Nations unies pour l’alimentation]. Ce qu’il a fait au Brésil est exceptionnel mais nous pouvons aller plus loin. Une loi semblable à la loi française a été adoptée en Finlande, en Italie, au Pérou; elle est en discussions au Congo Brazzaville, en Suède, au Canada, en Australie et en Argentine, par exemple.
C’est amusant que cette loi initiée par un élu municipal se généralise comme ça un peu partout sur la planète. Un conseiller municipal, ce n’était pas le meilleur moyen de peser sur le débat, pourtant…
J’ai été reçu une première fois à l’Assemblée nationale en janvier 2015 mais vingt jours plus tard, le rapporteur du projet de loi, Guillaume Garot, a essayé de récupérer la loi en nous écartant. A l’obligation de céder ses invendus, il préférait une défiscalisation…
Dans votre livre, «Manifeste contre le gaspillage», paru chez Fayard, vous expliquez en effet que le fond de cette histoire vient de la TVA. Expliquez-nous !
C’est un système au profit de la grande distribution, qui leur permet de jeter les invendus, même avant la date limite, pour récupérer la TVA. Ça se chiffre en millions d’euros! Et les grands perdants sont à la fois les agriculteurs et la classe moyenne…
Donc le rapporteur n’est pas favorable… Et le texte est retoqué par le Conseil constitutionnel.
Nous avions réussi à glisser un amendement, par l’intermédiaire de Frédéric Lefebvre, dans le cadre de la loi sur la transition énergétique, mais avant la troisième lecture et ce n’est plus possible d’ajouter du contenu à ce moment-là de la vie d’un texte. La fois d’avant, dans la loi fourre-tout Macron, le même amendement avait été détricoté. Il ne s’agissait plus d’une «obligation» mais d’une «possibilité». Et cela ne concernait plus les supermarchés en dessous de 1.000 mètres carrés.
Et ça fait une grosse différence ?
Oui! Sur la possibilité, cela se comprend tout seul. Sur la surface, en France, 26.000 des 30.000 points de vente concernés font moins de 1.200 mètres carrés. Deux tiers des supermarchés sont des franchisés, il fallait que cela s’applique à tout le monde de la même façon pour que cela soit efficace.
Du coup, ni le premier ni le second n’ont fonctionné…
Non, mais la troisième fois, nous avons déposé le même amendement en même temps au Sénat et à l’Assemblée nationale et ses quatre alinéas ont enfin été adoptés à l’unanimité. La loi a été promulguée le 11 février !
Vous avez aussi réussi un joli coup au Parlement européen en juillet dernier ?
Nous avons là encore glissé une proposition d’amendement, avec la députée PPE Angelique Delahaye pour favoriser exactement le même mécanisme, dans le cadre du rapport sur l’utilisation efficace des ressources.
C’est peut-être un peu court, mais vous avez déjà un retour sur les conséquences de cette loi ?
Plus de 300 associations, des associations de plus de trois ans, parce que ce critère permet de juger de leur sérieux, ont utilisé la loi pour se faire remettre en moyenne une cinquantaine de kilos d’invendus tous les soirs dans les supermarchés. J’aiderai les associations à faire respecter strictement la loi. Cinquante avocats sont prêts à assigner tout supermarché qui refuserait de se plier à la loi. La loi dit qu’un supermarché qui refuserait de remettre ses invendus à une association habilitée pourrait faire l’objet d’une amende de 3.750 euros.
Vous avez fait l’objet de plus de trois cents articles et reportages, un peu partout. Vous étiez très à la mode ! Mais on voit aussi apparaître des critiques. Vous dérangez qui ? Les politiques ? Les acteurs économiques ? Les politiques ?
Je ne vois pas pourquoi. Je suis élu municipal, je ne gagne pas d’argent avec mon mandat et les recettes de mon livre sont intégralement reversées à la Croix-Rouge. Je ne me suis présenté à aucune élection… Beaucoup d’élus m’ont plutôt apporté leur soutien. Je fais le tour de tous ceux qui veulent en parler pour faire de la pédagogie! Les acteurs économiques? La grande distribution dépense beaucoup d’argent dans les régies publicitaires, comme elle en dépense beaucoup dans les associations sportives ou dans la vie de nombreuses communes. Du coup, les attaques sont venues de deux ou trois médias. J’ai porté plainte en diffamation contre Yann Moix [un des chroniqueurs de On n’est pas couché, sur France 2] qui m’a comparé à Christophe Rocancourt. Je trouve cela injuste de taper sur un élu qui oeuvre dans l’intérêt général. Mais là aussi, je préfère me féliciter du soutien de Mathieu Kassovitz, de Bruno Gaccio, d’Antoine De Caunes ou de Youri Djorkaeff. Pour le reste, qu’on me dise que je suis un «opportuniste» ou que j’ai «harcelé» des journalistes, je crois qu’il faut parler de ce problème! Il n’y a pas que la lutte antiterrorisme. Des gens ont faim et c’est tout aussi important.
Propos recueillis par Thierry Labro
Laisser un commentaire