Arash Derambarsh a publié, sur le site « La Règle du jeu », une tribune intitulée « Pour un hommage national aux victimes du Coronavirus« 

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L’avocat Arash Derambarsh a perdu son père, mort du Covid-19. Il raconte le difficile deuil des familles et plaide pour un hommage national aux victimes.

Monsieur le Président,

Nous sommes le dimanche 29 mars 2020. Il est 21h à Paris lorsque le téléphone sonne. C’est l’Hôpital «La Broca». Celui-ci nous annonce que mon père est testé positif au coronavirus. L’angoisse nous submerge.

L’hôpital nous informe être dépassé par le nombre croissant de patients souffrant du Covid-19. La situation est insoutenable et elle l’est pour nous, nous devons attendre. À ce moment-là, mon Père n’a que de la fièvre.

Mardi 31 mars, il est 6h du matin, je m’éveille à peine. Il y a un appel en absence. Immédiatement, ce numéro m’est familier:c’est l’Hôpital. L’heure matinale de ce coup de téléphone est inhabituelle pour une bonne nouvelle.

Saisi d’une urgence, j’appelle avec un mauvais pressentiment. L’interne décroche toute suite et le couperet tombe;mon Père est mort à 5h34 à l’âge de 74 ans. Emportant avec lui nos souvenirs, Kioumars Derambakhsh était un grand cinéaste français d’origine iranienne.

Quelques secondes après cette annonce violente, l’interne me prévient que je n’ai que deux heures pour venir faire mes adieux à celui que j’ai tant aimé, mon Père. Dans le cas contraire, l’Hôpital sera dans l’obligation de faire évacuer le corps en raison de la crise sanitaire.

Malgré la souffrance, je réveille ma Mère en urgence pour lui annoncer l’indicible. Un cri de douleur résonne dans l’appartement. L’homme qui a partagé plus de cinquante années de sa vie vient de décéder.

Le temps semble suspendu dans la tristesse lorsque le taxi nous dépose enfin à l’Hôpital. Le protocole est strict:

une blouse, une charlotte, un masque. Et même si les larmes inondent le visage de ma mère, nous devons garder une distance ainsi que pour le défunt. Aucun contact, aucun réconfort.

Nous commençons notre périple au travers des dédales l’Hôpital «La Broca» qui venait d’ouvrir au troisième étage une unité «Covid-19». Nous traversons un champ de guerre au lieu d’un couloir d’Hôpital. À chaque pas, à chaque chambre, une personne agonise.

Nous arrivons face à la porte 336, la chambre où mon père est étendu sur son lit. Son visage est serein, un apaisement presque étrange dans cette cacophonie. Encore une fois, nous n’avons ni le droit de le prendre dans les bras, ni de l’enserrer contre notre cœur;cette chaleur humaine est strictement interdite.

Je suis à deux mètres de lui, ma mère pleure à chaudes larmes derrière moi sans qu’une quelconque marque d’affection soit possible, c’est froid, presque clinique. Ce n’est un aurevoir qu’à demi-mot.

Un adieu bref pour un grand Homme. L’interne nous informe que nous n’avons seulement cinq minutes, à cause d’un virus très contagieux.

À cette issue, nous remercions chaleureusement le personnel soignant, pour son courage et son dévouement. Au quotidien, ils font un travail admirable pour accompagner les familles endeuillées. Mais surtout et avant tout, ils aident les malades et risquent leur vie alors que dépourvus d’équipement. Ces héros sont en première ligne pour sauver des vies.

Une semaine s’est écoulée, mon Père est enterré au cimetière de Courbevoie. Nous ne serons que quatre alors que plusieurs centaines d’amis proches souhaitaient honorer sa mémoire pour un ultime adieu. Le confinement empêchant tout rassemblement, personne n’a pu se prendre dans les bras, se soutenir ni s’embrasser. Un deuil solitaire, presque glaçant.

Malgré tout, nous remercions le maire de Courbevoie, Monsieur Jacques Kossowski, les fonctionnaires ainsi que tous les élus locaux qui sont en deuxième ligne, partout en France, pour accompagner les concitoyens.

Mon Père est mort de la même façon que Julie, Christian, Paul, Catherine, Jeanne, Mohamed, Paul, Jeanne, Colette ou encore Jean-François.

Tous ont un point commun:aucun n’a eu l’hommage qu’il mérite, ni l’accompagnement pour leur dernier repos. Dans notre République, accompagner ses morts est une marque de respect et de valeurs fondamentales.

En France, plus de 40.000 personnes vont mourir du Coronavirus Covid-19:à l’Hôpital, dans un Ehpad, dans une maison de retraite, au domicile, dans une clinique et même dans la rue pour certains sans domicile fixe.

Pour les proches ainsi que les familles, cette situation est déshumanisante et d’une tristesse si profonde.

Ce problème va pourtant bien au-delà du drame familial. En effet, en temps de guerre, chaque malade décédé est un mort pour la Nation. C’est un deuil qui nous concerne tous. Toutes ces victimes qui sont tombées face à l’ennemi invisible méritent de mourir dans la dignité. Appelons-en à notre patriotisme face à une situation sans précédent dans notre histoire. Nous pouvons en notre âme et conscience honorer nos morts en décrétant un deuil National.

Ainsi, en décidant de ce deuil National, Monsieur le Président, vous enverrez un signe fort aux enfants de notre Nation selon lequel chaque être Humain mérite de mourir dans la dignité.